Frédéric Lordon est un économiste atypique. S’il sait proposer des analyses solides et des propositions souvent originales, il y ajoute une verve et une ironie qui donne à ses textes une saveur incomparable. Nouvel exemple avec les quatre derniers papiers de son blog.
Les petits cochons anglo-saxons
Cette série (en deux parties) remonte à fin avril, quand Standard & Poors avait mis sous surveillance négative la note des Etats-Unis (voir ma note). L’économiste souligne à quel point les Etats-Unis et la Grande-Bretagne présentent des similitudes avec les « trois petits – les cochons. Grèce, Portugal, Espagne. Et comme il fallait un « I » (pour bien faire PIGS), on eut d’abord l’idée de l’Italie – puisque les crottés sont nécessairement les Méditerranéens. Sauf que ce fut l’Irlande ».
Il souligne la situation extrêmement détériorée des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, dont la dette et les déficits sont aujourd’hui largement supérieurs à ceux de l’Espagne, qui est pourtant aujourd’hui dans le collimateur des marchés, avec une poussé de ses taux longs au-delà de 5%, un seuil qui s’approche de celui où le pays aura besoin de « l’aide » européenne.
En effet, il rappelle que le marché immobilier résidentiel va toujours très mal, que le marché immobilier commercial présente des faiblesses importantes (avec des pertes potentielles de 300 milliards de dollars), que le bilan de la Fed est truffé de titres pourris, que les Etats ne parviennent pas à s’en sortir et que les engagements en matière de retraites ne sont pas véritablement couverts…
Il dénonce aussi la schizophrénie des marchés : « résumons-nous : les politiques économiques ne veulent plus que ce que les marchés veulent, mais les marchés veulent trop de choses et finalement ne savent plus quoi à force de vouloir une chose et son contraire. C’est pourquoi ils peuvent ordonner ceci un jour et puis le lendemain cela qui en est l’exact opposé. Moody’s en 2010 n’a-t-elle pas exhorté le Portugal à l’austérité… puis menacé le Portugal pour cause de croissance insuffisante ? ».
La régulation de la finance au point mort
A l’occasion du dernier sommet du G8, il est revenu sur l’échec de la réforme de la finance, quelques jours après mon papier « La France, bonnet d’âne de la réforme de la finance ». Il souligne la vacuité des propos des dirigeants de ce monde, et de Nicolas Sarkozy en particulier : « de ce point de vue, l’inertie européenne est tout à fait impressionnante – et l’inertie française plus encore si on la met en rapport avec les propos martiaux qui annonçaient l’arraisonnement définitif de la finance depuis Toulon ».
Il souligne tout d’abord que la valse de l’agenda du G20 démontre le peu de sérieux de ses participants et dénonce également l’utilisation de bouc émissaires qui permettent de détourner le sujet : « en 2009, l’« idée théorique » veut que bonus et paradis fiscaux soient coupables de tout. On annonce de terribles représailles. Que la réalité accompagne le fantasme n’a jamais été le souci dominant de M. Sarkozy : il suffit que les choses soient dites ».
Pour lui, « le paradoxe veut que les intentions les plus consistantes de re-régulation financière viennent finalement des Etats-Unis » et qu’ « aux yeux de la finance étasunienne, la vraie terre de liberté c’est donc l’Europe – et les populations européennes seront certainement ravies de se savoir à l’avant-garde… ». Bref, tous les mécanismes qui nous ont mené à la crise financière de l’automne 2008 restent globalement en marche, ce qui promet pour l’avenir.
Je vous invite à lire ces textes, même s’ils sont un peu longs car il est peu courant qu’un économiste allie ainsi l’intérêt du fond et la virtuosité de la forme. Il vient de sortir « D’un retournement l’autre. Comédie sérieuse sur la crise financière. En quatre actes, et en alexandrins » au Seuil.
Laurent Pinsolle
http://gaulliste-villepiniste.hautetfort.com/